Henry Ford est l’un des pères de la production standardisée de masse. Au début du siècle dernier, confronté au défi de produire des voitures en grand quantité au plus bas prix, il invente avec F. W. Taylor de nouvelles méthodes de production. À eux deux, ils changent ainsi à jamais la manière dont on travaille dans les usines. Plus tard, leurs méthodes sont adoptées par d’autres industries, et notamment les centres d’appel. 70 ans après la mort de Henry Ford en 1947, il est temps pour les centres d’appels de se défaire de cette image de production à la chaîne qui leur colle à la peau.
La révolution industrielle de Ford et Taylor
En 1908, Henry Ford s’intéresse au marché de la voiture «bon marché». Il doit alors simplifier la fabrication qui est réalisée de manière artisanale. Son défi : produire des véhicules en grand nombre tout en réduisant les coûts. Ford invente le travail à la chaîne. Il divise le travail, standardise les pièces et les produits, lui permettant de produire de grandes séries avec une main d’œuvre peu qualifiée. C’est la production de masse.
« Les gens peuvent avoir la Ford T dans n’importe quelle couleur, du moment que c’est noir. »
Henry Ford
Frederick W. Taylor développe l’Organisation scientifique du travail: les tâches sont divisées, standardisées selon des normes rigoureuses de temps et de cadence. Grâce à lui, n’importe qui peut faire le travail, seul le travail manuel compte.
Les résultats sont là : la productivité augmente et les coûts diminuent. En 1914, Ford double les salaires de ses employés (de 2,5 $ à 5 $) et introduit des bonis. À l’extérieur, les travailleurs font la file pour travailler dans son usine; à l’intérieur, les employés se disciplinent : le taux de roulement et l’absentéisme diminuent. Et la production augmente. C’est un grand succès.
La révolution Toyota
Suite de la seconde guerre mondiale, les japonais cherchent à rebâtir leur industrie automobile. Ils étudient les manières de faire aux États Unis et constatent les effets pervers des méthodes de production de masse:
- Insatisfaction des clients reliés à :
- Manque de flexibilité par rapport à la demande des clients
- Problèmes importants de qualité
- Allongement des délais de livraison
- Coûts élevés de stockage de produits fabriqués mais non vendus
- Démobilisation des employés
Aidés ironiquement par des américains tels que Deming ou Juran, ils mettent la primauté sur le client et sur la qualité puis adoptent une vue plus globale et systémique de la production. C’est à cette période que naît le modèle Toyota.
Il s’ensuit des changements profonds dans l’organisation du travail:
- Production en fonction des besoins des clients
- Réduire des stocks au minimum
- Employés qui ont le droit d’arrêter la production
- Participation des employés dans l’amélioration continue des processus et des produits
- Développement du travail d’équipe en petites cellules
- Polyvalence pour favoriser l’entraide
C’est une véritable révolution, qui prend le contre-pied de l’approche de Ford :
- On cherche à satisfaire des clients qui ne se contentent plus d’un produit standard, mais veulent un produit répondant à leurs préférences. C’est une approche centrée client.
- On vise la productivité de l’ensemble du système, et non plus la seule productivité de la main-d’œuvre. C’est une approche systémique.
- On valorise les employés non pas seulement pour leur contribution manuelle, mais pour leurs connaissances, leurs capacités à résoudre des problèmes et leurs idées d’amélioration. C’est une approche plus humaine.
Dès les années 80, les usines du monde entier sont étonnées par le succès mondial des japonais et adoptent, non sans difficultés, leurs méthodologies. Cela ouvre la voie aux usines telles que nous les connaissons aujourd’hui.
Les premiers centres d’appel sur le modèle des usines
Qu’est-ce que tout cela a à voir avec les centres d’appels?
Les premiers sont apparus à la fin du XXème siècle, avec l’objectif de servir un grand nombre de clients, au coût le plus faible possible. On cherchait un service de masse : c’est l’industrialisation des services.
Poursuivant le même objectif, c’est donc tout naturellement que les centres d’appel ont adapté les méthodes industrielles de Ford à leur contexte :
- Adoption de scripts d’appel standards,
- Limitation de l’autonomie des employés,
- Contrôle des employés à la seconde,
- Motivation au moyen de bonis
Mêmes causes, mêmes effets !
Elles ont eu les mêmes effets pervers que dans les usines :
- Insatisfaction des clients par rapport à :
- Aux délais d’attente
- A la qualité des interactions,
- Aux transferts d’appel
- Coûts de service en augmentation
- Coûts d’acquisition des clients en hausse
- Démobilisation des employés
L’évolution des centres d’appel
Les centres d’appel vivent depuis quelques années leur révolution Toyota. Les organisations, constatant l’évolution des préférences et des attentes des clients, adoptent de nouveaux principes :
- Elles cherchent à créer des expériences client qui développent leur fidélité et leur loyauté. Elles sont centrées clients.
- Elles considèrent les centres de contact au sein de parcours clients et en interaction avec les autres canaux. Elles ont une vue systémique.
- Elles donnent plus de pouvoir aux employés et les impliquent dans l’amélioration des processus. Elles sont plus humaines.
Les centres de contact d’aujourd’hui contribuent à la réputation de la marque, à l’expérience client, aux revenus et à la profitabilité.
Pour atteindre des résultats différents, il faut porter des actions différentes
Ces nouveaux principes amènent des nouvelles attentes pour les agents à qui on demande d’aller au-delà des scripts pour:
- Comprendre les besoins des clients,
- Leur offrir des produits et services adaptés,
- Résoudre définitivement leurs problèmes,
- Être proactif pour éviter qu’ils aient besoin de rappeler,
Il ressort de meilleurs résultats d’affaires, mais aussi des milieux de travail engageant où les employés ont du plaisir à travailler.
Les centres d’appels peuvent être différents
Les centres d’appels modernes sont très différents de l’image que s’en fait le public. Ou plutôt : les centres d’appels ont le potentiel d’être très différents que l’image que s’en fait le public.
Car aujourd’hui encore, de nombreux centres de contact continuent d’être organisés comme des usines. Certes, la technologie s’est améliorée, les locaux se sont modernisés, les conditions de travail ont été rehaussées, mais le contrôle et la standardisation restent souvent omniprésents.
Ce changement n’est pas si facile. Il ne l’était pas dans le milieu manufacturier non plus. Mais c’ est faisable. Et il apporte des bénéfices à tous les niveaux. Tout commence par une vision. Tout commence par vous. Y croyez-vous ?
Par Guillaume Delroeux
Guillaume est président et leader de pratiques en expérience client chez Prométhée consultants et aide les organisations ayant des centres de relations clients à tirer le meilleur parti de leurs technologies pour maximiser leur impact et créer des expériences client légendaires.